1. Interview de Bakary Guèye, éditorialiste et analyste politique mauritanien : Le bilan du président candidat à sa propre succession ne plaide pas en sa faveur.

mer, 22/05/2024 - 20:20

Le président Mohamed Ould El-Ghazouani se présente pour un second mandat, lors de la Présidentielle prévue le 29 juin 2024.

L’ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, condamné en 2023 à cinq ans de prison ferme pour enrichissement illicite, a été empêché de se présenter, faute du nombre de parrainages requis (100 conseillers municipaux, dont cinq maires). La campagne électorale débutera le vendredi 14 juin à minuit et se terminera le jeudi 27 juin à minuit. Bakary Guèye, rédacteur en chef du site web “Initiative News”, revient sur les enjeux de ce scrutin qui devrait s’articuler autour de questions sociales et économiques

 

Question : Selon vous, quels sont les enjeux de la Présidentielle du 29 juin pour la population mauritanienne ?

Bakary Guèye : L’élection constitue un véritable enjeu. Le président Mohamed Ould El-Ghazouani se présente pour un second mandat. Il aura en face de lui six candidats issus de l’opposition. À mon avis, c’est une élection qui risque d’être rude, car le président sortant n’a pas vraiment un bilan aussi convaincant qui pourrait plaider en sa faveur. Il y a un fort mécontentement au sein de la population et il y a aussi l’exemple sénégalais qui pourrait avoir une influence durant ce scrutin. On a vu que le changement était possible et les opposants n’ont jamais été aux affaires.

L’un des seuls points noirs de ce scrutin risque d’être la perte de crédibilité de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante). Cette dernière, lors des dernières élections législatives de septembre 2023, n’a pas su organiser en toute transparence et sérénité le scrutin remporté par la mouvance présidentielle (parti El Insav « Équité »).

 

 

Question : Quelles sont les figures marquantes de l'opposition mauritanienne qui pourraient peser sur l'élection présidentielle ?

B.G : L’opposant le plus sérieux au régime actuel est Biram Dah Abeid, le militant antiesclavagiste qui a su mobiliser autour de sa personne, notamment au sein de la communauté haratine, l’un des groupes sociaux les plus importants du pays.

Il a aussi engrangé beaucoup de soutiens dans la communauté arabe et chez certains leaders de la vallée du fleuve issus de la communauté négro-africaine comme les Forces Progressistes pour le Changement (FPC) de Samba Thiam et d’autres cadres négro-africaines issus de la Coalition vivre ensemble (CVE).

Biram pourrait rassembler autour de lui une forte coalition qui pourrait peser lors de ce scrutin. L’autre grand outsider de ce scrutin pourrait être Me Elid Mohameden M’Barek, un jeune avocat et parlementaire. Il est soutenu par une coalition assez importante constituée de plusieurs branches de l’opposition, dont Espoir de Mauritanie qui fut la surprise des dernières Législatives, car cette coalition avait engrangé sept députés. Cette mouvance possède aussi une importante base au niveau de la jeunesse. Elid Mohameden M’Barek est connu pour ses prises de position courageuses au niveau de l’Assemblée nationale pour dénoncer les injustices et qui a réussi à fédérer certaines forces issues de la vallée du fleuve et par l’Union des forces du progrès (UFP) l’un des partis les plus ancrés dans le paysage politique mauritanien dirigé par le Pr. Mohamed Ould Maouloud.

L’une des surprises de cette élection pourrait être aussi le professeur de médecine Atouma Antoine Soumaré qui bénéficie du soutien de la très influente députée Khadidiatou Malick Diallo. Ils peuvent jouer les trouble-fêtes face à la machine du pouvoir.

En outre, on n’est pas à l’abri d’une surprise et d’un second tour capable de faire basculer l’élection.

 

Question : Quelle incidence peut avoir le rejet de la candidature de l’ancien président Mohamed

Ould Abdel Aziz ?

B.G : Le fait que la candidature de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz soit recalée va avoir un impact sur les résultats de cette opposition, car le prédécesseur d’El Ghazouani a encore beaucoup de partisans dans le pays. Donc, son électorat fidèle et non négligeable pourrait se reporter sur les autres candidats de l’opposition.

L’opposition dispose d’une certaine chance. Si elle arrive à pousser le candidat du pouvoir vers un second tour, cela pourrait changer la donne.

 

Question : Beaucoup d’observateurs craignent que les couacs, la mauvaise organisation et les fraudes lors de cette élection viennent fausser les résultats du scrutin. Comment appréciez-vous le bilan de Mohamed Ould Ghazouani, alors qu’il a fait de la lutte contre la pauvreté un de ses chevaux de bataille lors de son élection en 2019 ?

B.G : C’est un bilan très mitigé. Les gens sont loin d’être satisfaits du bilan de l’actuel président. Lors de sa prise de pouvoir, il avait promis de faire de la lutte contre la corruption et la gabegie l’une de ses priorités.

Mohamed Ould El-Ghazouani avait aussi promis de lutter contre les inégalités. Mais à l’heure du bilan, les résultats sont faibles. Ils ont vu leur niveau de vie se détériorer avec une hausse des prix poussant beaucoup de jeunes à prendre le chemin de l’émigration irrégulière vers les États Unis.

Ainsi, plus de 15 000 jeunes sont partis à l’étranger, notamment vers d’autres destinations à l’étranger. Il n’a pas aussi su répondre à la problématique de l’emploi des jeunes qu’il avait décliné dans son programme dénommé “Mes engagements”. Le pays s’est vidé de sa jeunesse ; cela a eu un impact sur la situation du pays. On risque d’assister à un vote sanction contre le président sortant.

 

Question : Quels sont les rapports entre la Mauritanie et les pays de l’ l’Alliance des États du Sahel (AES) ?

B..G : La Mauritanie a l’avantage d’avoir d’excellentes relations avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). Elle a toujours constitué un point de convergence entre tous ces États au sein du G5 Sahel dirigé par la Mauritanie. Le pays a toujours cette crédibilité grâce aux efforts faits par le gouvernement mauritanien pour neutraliser le fait terroriste dans le Sahel. Car on sait que l’approche mauritanienne contre le terrorisme est saluée à travers tout le monde entier et chez nos partenaires. Elle continue à coopérer avec  le Mali avec qui elle partage plus de  2 500 km. La Mauritanie a toujours œuvré pour la stabilité sécuritaire du Mali et a conservé d'excellentes relations avec ce pays, malgré les derniers incidents à la frontière (NDLR : exactions de l'armée malienne et des miliciens de Wagner contre des civils mauritaniens à la frontière entre les                                                                                                                deux pays).

Question : Le terrorisme sera-t-il au cœur de la Présidentielle, quand on sait que la Mauritanie jouait un rôle central dans le G5 Sahel aujourd'hui dissous ?

B.G : La question du terrorisme est loin de figurer en haut de la liste des priorités des Mauritaniens. Les thématiques de campagne risquent de s’articuler autour des questions économiques et sociales liées au coût de la vie, à la corruption et qui seront au centre de la campagne électorale. Le terrorisme constitue toujours une préoccupation pour les populations, mais l’État continue de prendre les dispositions nécessaires pour lutter contre ce fléau. La population a d’autres préoccupations comme la gestion des ressources minières et énergétiques, et la répartition des richesses dans le pays.

 

 

Question : Y a-t-il des risques de violences postélectorales à l’issue de ce scrutin ?

B.G : La crédibilité de la Ceni avait été fortement ternie à la suite de l’organisation des dernières Législatives. Elle n’a pas eu l’occasion de redorer son blason et de rectifier ses erreurs.

Des partis de la mouvance présidentielle qui a remporté le scrutin législatif avaient relevé de graves manquements. Il faut toujours s’attendre à des contestations, comme c’est le cas généralement en Afrique, et la Mauritanie ne fait pas exception à la règle. Il faut s’attendre à des contestations, s’il y a des fraudes et manquements notés par l’opposition.

En outre, si jamais l’opposition se sent lésée à travers des fraudes massives et des manquements flagrants, cela pourrait déboucher sur des violences, d’autant plus que la population pourrait se joindre aux violences. Les autorités vont prendre des dispositions nécessaires pour tenter de contrer ces potentiels faits de violence.

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