
A mon sens la loi d’amnistie de 1993 constitue un désordre national et enfreint le pays à réécrire son histoire contemporaine en allant vers la table de vérité, justice et réconciliation nationale. Il est extrêmement important que les victimes et les rescapés et toute la nation entière chassent ce qui s’est passé entre 1989 à 1991 et pourquoi ces exécutions sommaires et extrajudiciaires des mauritaniens noirs… !?
De prime à bord j’utilise tout au long de cette réflexion les exécutions sommaires et extrajudiciaires et la violation manifeste des droits humains pour faire allusion aux évènements des années 1989 à 1991.
A mon sens, j’estime qu’il est extrêmement important d’utiliser des notions juridiques pour faire ressortir le caractère d’extrême gravité de ces évènements car il s’agit d’une partie de nous-même, ou devrais-je dire une partie intégrante de la mère-patrie (la Mauritanie), qui a subi des exécutions extrajudiciaires béotiennes, inhumaines et dégradantes.
Le terme « passif humanitaire » que le gouvernement utilise pour designer ces faits aussi graves, atroces et abominables est à mon sens un terme réducteur et pourtour. L’Etat central par ailleurs, se définit par la conjonction de trois éléments : une population, un territoire et un gouvernement. Les fonctions régaliennes de celui-ci jadis reposent sur la sécurité extérieure et la sécurité intérieure, la justice et la définition des règles de droit, entre autres.
L’Etat contemporain a vu ses obligations se multiplier : aujourd’hui, il doit garantir, protéger, éduquer, assurer, faire régner la paix et la justice, la cohésion sociale et l’unité nationale dans le temps et dans l’espace. La justice joue un rôle fondamental vers l’unité et la cohésion.
Cependant, avec l’avènement de la post-modernité, les sociétés, les mœurs et les besoins évoluent vers ce qu’on appelle : le pluralisme judiciaire. Cela s’explique par le fait que la justice classique n’est plus la seule source de résoudre les différends. Aujourd’hui, il y a plusieurs manières de rendre justice. Ce qui revient à dire que la justice est un langage mais il y a dans une langue plusieurs façons d’utiliser les mots pour leur faire produire un effet réconciliatoire basé sur la paix, l’harmonie sociale et l’unité nationale.
Les victimes, les rescapés et toute la Mauritanie entière sont en droit de connaitre la vérité et de demander de comptes à l’Etat central pour savoir ce qui s’était passé entre 89 à 91. Car ces événements qu’on le veuille ou non constituent aujourd’hui une partie intégrante de la République Islamique de Mauritanie.
C’est notre histoire, l’histoire de la mère-nourrisse, l’histoire de la nation arc-en-ciel. L’Etat avec ses attributs constitue un acteur principal pour rendre la justice quelle qu’elle soit (classique, négociée et restaurative ou transitionnelle).
Pour ceux-là, l’abrogation de la loi d’amnistie de 1993 est un préalable à mon sens pour aller vers la vérité, justice, et réconciliation nationale. Abroger une loi ne veut pas dire déclencher des poursuites judiciaires ou punir ou encore sanctionner…Abroger la loi d’amnistie dans le cas d’espèce veut dire faire encore mieux pour aller à la table de vérité et justice.
Pourquoi faut-il abroger la loi d’amnistie de 1993 ?
A mon sens cette loi constitue aujourd’hui le grand désordre national tant sur le fond que sur la forme, qui n’a plus lieu d’exister dans notre sécurité juridique. Elle doit être abrogée de notre arsenal juridique puisqu’elle constitue un frein pour l’unité et la réconciliation nationale.
D’autant plus que les dispositions de celle-ci sont redondantes, pourtour et n’améliore aucunement la lisibilité de notre corpus juridique. Cependant, du point de vue du droit l’amnistié est un acte législatif qui a pour effet d’éteindre les poursuites ou d’effacer une condamnation déjà prononcée.
C’est ce que le législateur mauritanien avait fait en 1993 en votant hâtivement la loi d’amnistie pour mettre fin aux poursuites judiciaires contre les auteurs des exactions sommaires et extrajudiciaires et la violation grave des droits humains des Mauritaniens noirs.
Abroger cette loi, cela n’est pas synonyme de déclencher l’action publique mais plutôt de faire en sorte que cette norme cesse définitivement de produire ses effets pour l’avenir au regard de nos besoins émergents de vérité, de justice et de mémoire commune et de l’unité nationale. Il est urgent voire très urgent d’abroger cette norme expressément afin de la remplacer par une autre permettant aller à ta table de vérité, justice (quelle qu’elle soit) et réconciliation et l’instauration d’une mémoire collective. Oui, c’est possible !
Pourquoi une nouvelle loi ?
A la place de la loi d’amnistie de 1993, le législateur peut encore faire mieux. Ce dernier, il pourrait toujours être parmi celles et ceux qui réécriront l’histoire contemporaine de la Mauritanie. Pour ce faire, le législateur doit indiquer clairement sa volonté d’abroger la loi d’amnistie et voter une nouvelle loi qui va dans le sens de la réconciliation nationale, la vérité, la justice et la mémoire collective.
Aujourd’hui, le gouvernement mauritanien à tous les leviers pour abroger et voter une nouvelle norme. Il est trop facile de parler de l’unité nationale et la réconciliation lorsque la veuve ou l’orphelin qui est en face de vous voudrait savoir ce qui est arrivé à son mari, son père, son frère… entre 89 à 91.
Pour aller à l’unité et la réconciliation nationale le gouvernement doit voter une nouvelle loi. Cette loi serait le cadre normatif dans lequel on trouve les obligations et les devoirs de l’Etat et de toutes les parties prenantes permettant à ouvrir le dossier des évènements de 89 à 91 dont l’objectif fondamental serait : connaitre la vérité, rendre la justice (quelle qu’elle soit), demander pardon et réconcilier les mauritanien avec eux-mêmes.
Cette loi doit également fixer toutes les conditions nécessaires et les garanties légales permettant d’identifier les bourreaux, les victimes et les rescapés afin d’aller vers ce que les uns et les autres appellent : vérité, justice et réconciliation (VJR).
Ce fut le cas de l’Afrique du Sud et dans d’autres pays dans le monde. La loi doit aussi ordonner la création des tribunaux spéciaux pour la réconciliation (TSR) qui seraient composés des magistrats (hommes et femmes) intègres professionnels ou non choisis ou élus en fonction de leur bonne qualité humaine et leur bonne moralité par un organisme quelconque indépendant. Ces magistrats auront la mission d’écouter et d’auditionner les protagonistes afin d’entendre la vérité, rendre la justice, demander pardon entre autres.
Ce fut également le cas en Rwanda après le génocide des tutsi…le pays s’est doté d’un arsenal législatif permettant la création de douze mille juridictions. Parmi elles, 9000 tribunaux de gatchatcha (tribunaux communautaires ou de proximité) pour entendre et écouter les bourreaux et les victimes, juger, pardonner et réconcilier dans un espace social.
Enfin, en dernier lieu, la nouvelle loi doit permettre aux TSR de déterminer le montant de la compensation financière pour les victimes, ordonner la réintégration des fonctionnaires rescapés et octroyer le statut de victime à toute personne reconnue comme victime de ces évènements. La loi doit prévoir également la création d’un musé ou un monument national dédié à la mémoire des martyrs….
Dr Boubou BA
Université Paris10-Nanterre






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