POINT DE MIRE : Assassinat de Souvi Ould Cheine. « Affaire d’Etat ou affaire judiciaire » ?

mar, 28/02/2023 - 21:19

Depuis 1960 date de l’indépendance de ce pays, c’est  en tous cas pour la première fois qu’un régime en place accepte de laisser mener une enquête dans une affaire de meurtre commis par des agents des  forces de l’ordre ou de la  sécurité publique ou par des hommes de loi.

 

L‘expression    « accepte », désigne  ici bien entendu, la volonté du régime de chercher à faire faire toute la lumière sur une affaire très grave qui se caractérise par un homicide volontaire prémédité commis par des fonctionnaires de la force  publique dans l’exercice de leur fonction et dans un commissariat de police donc dans  un édifice public.

 

C’est une première. C’est en quelque sorte  peut être un ballon d’essai  lancé par les autorités comme  pour dire  qu’ « elles en ont  assez » de prendre les coups à la place des autres.

Malheureusement pour les autorités mauritaniennes apparemment leur  premier ballon d’essai révèle beaucoup d’inconnues et met en évidence   comme on va le voir,   des  disfonctionnements parfois graves aussi bien au niveau des commissariats de police de proximité qu’au niveau des structures médicales du pays.

 

Une victime et des assassins mais pas un mobile ? Une énigme policière.

 

Déférés au parquet  à la fin de l’enquête préliminaire  quatre fonctionnaires de la police  sur les  huit impliqués dans cette affaire,  ont été judiciairement  inculpés du meurtre avec préméditation sur la personne de l’activiste politique Souvi Ould Cheine.

 

Un  cinquième fonctionnaire   a été inculpé  sous-chef d’accusation « d’implication dans l’exécution du crime » et un autre, pour son  « refus de dénoncer les auteurs » du crime et pour avoir  aidé certains de ces  auteurs à quitter le lieu de la scène du crime après avoir commis leur forfait.

 

Ces premiers éléments de l’affaire  aident déjà  à penser que ce premier  ballon d’essai lancé par les autorités mauritaniennes  donne l’impression de  voler plutôt  très bas.

 

Mais on peut le dire. Parce que dans cette affaire,  quatre éléments de la force publique ont été inculpés d’homicide avec préméditation. En terme judiciaire,  l’expression homicide avec préméditation signifie qu’après audition des coupables  il a été établi  que  le meurtre  avait été  pensé avant d’être exécuté.

 

L’homicide,  est un  mot  d’origine latine  composé de « homo » qui désigne   personne  et de « cidium » qui signifie  tuer. Ce mot retenu dans la terminologie de l’acte d’accusation (charges retenues),  spécifie  donc que l'action de tuer était intentionnelle donc volontaire.

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Cela qui signifie en d’autres termes, que,   dans le cas de figure qui lui avait été soumis,  le procureur admet (par conviction), que les auteurs (donc les quatre, le commissaire et trois autres) ont donné la mort à Souvi Ould Cheine  de manière intentionnelle et délibérée.

 

Le code de procédure pénal est clair et précis. Ce code  dit bien  que si l’homicide est volontaire et prémédité, l’acte est considéré comme un  assassinat, c’est à dire un  meurtre commis de manière accomplie. 

 

C’est d’ailleurs pourquoi justement cette infraction pénale est au vu de la loi considérée comme un crime mais surtout comme un crime qui entre dans la catégorie des  infractions les plus graves prévues au code pénal.

 

En procédure pénale  toute inculpation suit évidemment des règles. Si un individu est  inculpé, il est inculpé  sur la base d’une qualification des faits, qualification qui définit le profil des charges retenues contre lui.

 

Cette qualification des faits est donc  d’une part établie par  l’enquête en fonction des preuves accumulées  et,  d’autre part,  sur la base de l’appréciation en toute âme et conscience du procureur de la république devant le parquet duquel les accusés ont été déférés.

 

La qualification des faits est, si vous voulez donc, en quelque sorte un balisage censé  aider le juge d’instruction auquel le dossier est  confié  à orienter son instruction en fonction de la fourchette des textes qui régissent pénalement l’acte commis. Cette étape de l’affaire est importante parce que ce seront  finalement en définitive  les conclusions du juge d’instruction qui ficèleront le dossier de l’affaire avant d’être enrôlé pour être jugé.

 

C’est peut-être pour certains trop compliqué mais c’est comme ça. Un comme ça qui n’est parfois pas vraiment comme ça. Pourquoi ?  

Parce que, par exemple dans le cas qui nous préoccupe, lors de la première comparution le procureur avait  évalué la situation en fonction des conclusions de l’enquête, des auditions des prévenus et au regard des pièces à conviction mises sous scellés.

 

Et c’est  en fonction de tous ces éléments que les enjeux « rentrent » en jeu. Mais c’est aussi à partir de là que parfois tout se complique. Et c’est peut-être pourquoi,  dans le cas de l’affaire de Souvi Ould Cheine, les choses elles aussi risquent bien de se compliquer.

 

Elles risquent  de se compliquer par exemple  parce que,  le pole des médecins légistes réquisitionnés dans son rapport médical avait  conclu que le corps de la victime présentait deux fractures au cou et des traces de strangulation. Ces deux éléments pouvant  être, l’un comme l’autre, la cause du décès. C’est ce que dit donc le rapport médical de l’autopsie.

 

Donc comme on le voit bien dans le rapport médical,   les légistes n’ont pas établi avec exactitude si la cause qui a entrainé la mort était  la fracture du cou ou la strangulation, un terme scientifique qui  désigne l’étouffement dû à l’exercice puissant d’un étouffement.

 

Etant donné que les personnes accusées du meurtre  sont quatre, les éléments fournis par le rapport médical ne permettront donc pas de  préciser,  qui de ces quatre  est l’auteur de l’acte commis qui a  causé le  décès. Ce détail pourtant très important les légistes ne le précisent pas. Et donc  dans ce cas alors,  c’est en principe à l’enquête préliminaire ou celle de l’instruction  de  situer les responsabilités pour pouvoir identifier formellement qui est l’auteur de la fracture du cou,  qui est l’auteur de la strangulation et lequel des deux est supposé  être l’auteur de l’acte qui a entrainé la mort.

 

Il est évident donc que l’absence de cet détail va  ouvrir une brèche d’entrée pour les avocats qui de toute manière  se battront  chacun de son côté pour faire porter le chapeau de l’acte qui a provoqué la mort à l’un des accusés plutôt qu’à un autre.

 

Des conclusions hâtives qui peuvent remettre  tout en cause ?

 

Et ce n’est pas tout. Depuis le début de cette affaire et tout de suite après le décès de la victime, de nombreux disfonctionnements ont été constatés. Des disfonctionnements semble-t-il au niveau de l’administration de la police par rapport à  la remontée de l’information. Un premier élément.

 

Il y’a aussi  ce diagnostic sur la cause du décès annoncé à la  « hâte » par un premier communiqué officiel  qui a été démenti  par la suite par les conclusions de l’autopsie  pratiquée sur le corps de la victime. Un deuxième élément.

 

Il y’a par ailleurs cette  dissimulation des éléments de preuves et des indices qui a été évoquée dans l’acte d’accusation du parquet,  une dissimulation  qui pouvaient peut-être aider à mieux comprendre ce qui s’était réellement passé. Un troisième élément.

 

Et,  enfin et  surtout,  il y’a cette grande question qui se pose,  celle de savoir le pourquoi de ce qui  s’était passé et s’il y’a comme certains le pensent des réels mobiles.

 

 

Affaire politique, ou affaire judiciaire, elle met dans des beaux draps.

 

Au regard des tous ces éléments, il est fort probable que ce dossier, un dossier qui est  pour beaucoup  très mal ficelé relance une nouvelle enquête qui reprendrait tout depuis le début.

 

En effet, ce dossier a été très mal ficelé. Très mal ficelé   par un document de médecine légale qui ne répondait  pas aux questions essentielles et déterminantes pour situer les responsabilités par rapport aux causes du décès. Très mal ficelé  peut être aussi comme le croient certains à cause  de l’absence d’éléments nécessaires à  l’enquête qui « pourraient » avoir été négligés au départ ou passés volontairement sous silence.

 

Si donc les autorités mauritaniennes sont décidées de passer un test de transparence dans la gestion d’une crise entrainée par une affaire très grave, maintenant il reste à savoir si leur machine mise en marche va avancer, reculer ou s’enrailler.

 

Et c’est évidement  là toute la question. Question à laquelle il serait  peut-être difficile de trouver une réponse  à cause  de l’absence de  certains  détails négligés volontairement par les « enquêteurs de la police des polices » depuis le début de cette affaire,  véritable « Sale temps pour un flic ».

 

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant.