Parler de corruption en Mauritanie, ce n’est pas trahir notre pays, c’est chercher à le réparer. C’est oser regarder en face ce qui ronge nos droits, nos écoles, nos hôpitaux, notre avenir commun. En 2023, notre pays est classé 130ᵉ sur 180 par Transparency International, avec un score de 30/100.Ce n’est pas une statistique, c’est la preuve d’une maladie installée. Et ce qui la nourrit, c’est notre silence presque complice, nos concessions quotidiennes. Ce geste au guichet, cette enveloppe discrète, ces appels pour « aider » un parent à obtenir un poste. Ce n’est pas un folklore africain. C’est est un vol organisé du bien commun. Refuser d’en parler, c’est accepter que la pauvreté progresse là où la rente prospère. D’autres pays, pourtant meurtris par la violence et la prédation, ont choisi de changer : le Rwanda, parti de loin, atteint 53/100 grâce à une politique de tolérance zéro. Le Botswana prouve qu’on peut être africain et transparent. Nous n’avons donc pas l’excuse de la fatalité. Il faut briser ce silence. Car se taire aujourd’hui, c’est pactiser avec la honte de demain..
Une réalité omniprésente, visible à tous les niveaux
Les chiffres sont implacables. Transparency International nous rappelle chaque année une vérité dérangeante que nous connaissons intimement : la corruption en Mauritanie n’est pas un phénomène marginal, mais une habitude profondément ancrée. Selon GAN Integrity, près de la moitié des entreprises mauritaniennes acceptent naturellement que la règle du jeu soit biaisée par le pot-de-vin, faisant du respect des règles une exception plutôt qu’une norme. Ces vérités, douloureuses mais nécessaires, doivent être dites haut et fort.
La corruption au quotidien : une complicité silencieuse et collective
En réalité, la corruption chez nous est banalisée au point de devenir une routine sociale presque invisible. Elle ne se limite pas aux grandes malversations ou aux scandales médiatisés. Elle s’installe dans nos quotidiens, dans ces petits arrangements tolérés au guichet administratif, ces silences gênés devant les passe-droits, ces examens achetés, ces médicaments destinés aux plus vulnérables détournés vers des pharmacies privées. Nous connaissons tous quelqu’un ayant payé pour un accès légitime à l’école ou à l’hôpital. Ces actes « anodins » impactent durablement des vies et sapent toute confiance collective.
Le rapport AVEC : les secteurs pris en flagrant délit
Le rapport de l’association AVEC est d’une clarté et d’une rigueur sans appel. Malgré l’adoption d’un nouveau Code des marchés publics en 2021, les contrats restent attribués dans l’obscurité aux mêmes cercles d’initiés. Les industries extractives continuent de signer des contrats derrière des portes closes ; les douanes demeurent perméables aux trafics ; l’éducation trahit sa mission première en vendant diplômes et postes ; la santé publique détourne ses ressources au détriment des citoyens les plus fragiles. Le constat sur la police et la justice est tout aussi alarmant, le rapport révèle des promotions monnayées, procès étouffés, impunité institutionnalisée. Face à ce tableau sombre, il ne s’agit pas de céder au découragement mais de réveiller les consciences. Ce constat doit être un déclencheur de mobilisation collective.
Des réformes prometteuses, mais une vigilance collective indispensable
Des avancées existent bel et bien. La loi anticorruption de 2016, l’installation d’un pôle judiciaire spécialisé, les rapports courageux de la Cour des comptes, et plus récemment, la mise en place annoncée en janvier 2025 d’une Autorité nationale anticorruption, en sont des exemples significatifs. Même la condamnation récente d’un ancien président montre que la justice commence à sortir de sa léthargie. Cependant, ces progrès resteront superficiels si le changement culturel et individuel ne suit pas. Le problème n’est pas seulement technique ou institutionnel ; il est profondément culturel. C’est notre tolérance collective, notre indifférence quotidienne, qui nourrit ce système. Dire non à la corruption implique une perte momentanée d’avantages immédiats, certes, mais offre en contrepartie une dignité collective durable.
Agir concrètement pour transformer notre réalité
Des mesures précises doivent être exigées sans attendre : transparence totale dans l’attribution des marchés publics, protection efficace des lanceurs d’alerte, garantie de la liberté des médias, contrôle rigoureux et transparent des patrimoines des responsables publics, et intégration d’une véritable éthique civique dans l’éducation nationale. Ces propositions ne sont ni idéalistes ni inaccessibles ; elles sont une exigence citoyenne, un droit fondamental pour chaque Mauritanien. La corruption n’est pas un destin mais un choix, collectif et conscient. En rompant avec nos silences complices, nous optons résolument pour une autre voie : celle de la responsabilité et de la confiance, d’une Mauritanie où la fierté provient non pas de ce que nous possédons mais de ce que nous sommes collectivement.
Une bataille commune pour l’avenir de la Mauritanie
Ce défi immense est à notre portée si nous mobilisons toutes nos forces : État, Parlement, entreprises, médias, société civile, citoyens ordinaires. C’est un effort quotidien qui seul peut permettre à la Mauritanie d’accomplir pleinement ses promesses : un État juste, équitable, respectueux de tous. La corruption n’est pas une abstraction, c’est la privatisation du bien commun. Il n’est pas trop tard. Mais il faut choisir. Choisir la responsabilité plutôt que la complicité. La transparence plutôt que l’opacité. Il est temps, enfin, d’assumer cette voix claire et forte, car la Mauritanie mérite mieux que notre silence.
Mansour LY
